« Bonjour mademoiselle » : ces trois mots, posés dans un ascenseur ou au comptoir d’un commerce, ne déclenchent plus la même réaction qu’il y a vingt ans. Jadis perçue comme une marque de savoir-vivre, la formule clive aujourd’hui. Elle interroge, dérange ou amuse, mais ne laisse plus indifférent. Face à la montée des débats sur l’égalité, certains y voient une relique encombrante, d’autres une politesse à défendre bec et ongles.
Origines et évolution de la formule « Bonjour mademoiselle »
Un coup d’œil dans le rétroviseur révèle à quel point ces usages sont ancrés dans l’histoire française. À l’époque de l’Ancien Régime, le moindre titre comptait pour établir le rang et la place de chacun. « Mademoiselle » désignait la jeune femme non mariée ; « Madame » revenait aux femmes ayant passé le cap du mariage. Cette distinction s’imposait partout : conversations de salon, documents administratifs, rapports hiérarchiques. Loin d’être une simple formalité, ce choix de mots assignait à chaque femme un rôle précis selon sa situation familiale. Revenir à cette obsession du « bon » titre paraît aujourd’hui presque inconcevable.
Les mentalités et la société ont bousculé ce schéma. Au XXe siècle, l’essor des combats pour l’égalité a soufflé un vent de remise en question profonde : petit à petit, « mademoiselle » s’est effacé des formulaires officiels, puis des lettres, des mails et du langage professionnel. « Madame » a gagné du terrain, soutenu par l’idée d’en finir avec les distinctions fondées sur le statut conjugal.
Patrick Vannier, spécialiste au sein du dictionnaire de l’Académie française, constate que ces évolutions ne font pas consensus. À ses yeux, la politesse doit s’adapter au rythme de la société, et non l’inverse. Il rappelle cependant que « Monsieur » et « Madame » restent aujourd’hui les termes privilégiés pour marquer le respect. Quand le genre de l’interlocuteur ne se devine pas, on utilise « Madame, Monsieur ». Pour s’adresser de façon plus solennelle, le registre reste classique : « Monsieur le Directeur », « Madame la Présidente »… « Bonjour mademoiselle » flotte donc à la frontière entre tradition persistante et volonté d’égalité, chacun la percevant selon sa propre grille de lecture.
Les débats contemporains autour de l’utilisation de « Bonjour mademoiselle »
La formulation divise davantage qu’autrefois. Pour beaucoup, elle cristallise une époque révolue, faisant passer l’état civil avant la personne. Supprimer cette mention, c’est tenter d’effacer des frontières de genre jugées désuètes. Parallèlement, d’autres la prononcent sans arrière-pensée, la voyant simplement comme une gentillesse, certes vieillotte, mais sans intention malveillante.
Sylvie Laidet-Ratier, journaliste indépendante, a mené l’enquête sur le terrain. Pour elle, tout dépend du contexte et de la génération. Les plus jeunes, familiers des arguments pour l’égalité, esquivent souvent ce « mademoiselle ». Les aînés, eux, peuvent l’utiliser machinalement. Une scène glanée dans une boulangerie illustre bien ces différences : à trente ans, une cliente reçoit la formule avec indifférence, alors que sa voisine de soixante ans l’accueille avec bienveillance, comme un vieux réflexe de politesse.
Les chiffres le confirment : une majorité de Français accordent crédit à la formule dans un cadre informel. Interrogés, 64 % estiment que « Bonjour mademoiselle » peut toujours se dire. Cependant, dès qu’il est question d’interactions professionnelles, la prudence prévaut. Le choix des mots obéit à des codes stricts, et la neutralité prend le dessus sur les marques de distinction traditionnelles.
Pour se repérer parmi les points de vue, il faut bien cerner les réactions principales :
- Arguments en faveur : Défense de l’habitude, attachement à un certain raffinement ou plaisir de perpétuer un usage, beaucoup voient dans la formule un reste d’élégance plutôt qu’un enjeu sociétal.
- Arguments défavorables : La formule renvoie à une époque où l’on interrogeait la vie privée, en plus d’apparaître aujourd’hui comme une différence arbitraire.
L’équilibre est délicat : préserver un geste que l’on associe au « bien dire » ou adopter un ton plus égalitaire, chacun tranche différemment. Pour certains, dire « Bonjour mademoiselle » revient à défendre une forme de savoir-vivre ; pour d’autres, il est urgent que ces symboles laissent place à un langage affranchi de toute discrimination.
Alternatives et recommandations pour une courtoisie moderne
Pour naviguer entre usages installés et nouvelles attentes, diverses formules de salutation émergent et rivalisent d’adaptabilité. Voici les options qui prennent désormais racine dans le quotidien :
- Bonjour Madame : une solution universelle, neutre et pratique, valable que l’on soit au guichet, à la mairie ou dans un bureau.
- Cher(e) [Prénom] : idéale pour personnaliser l’échange par écrit, sans distinction d’état civil.
- Bonjour à tous : s’adresse avec simplicité à tout un groupe, sans pointer le genre ni la situation personnelle.
Formules de salutation en contexte professionnel
Dans les échanges professionnels, la sobriété et l’inclusivité sont de mise. Les formulations suivantes rencontrent la faveur des salariés comme des managers :
- Cordialement : utilisée dans la quasi-totalité des mails et courriers, elle reste efficace et sans risque d’impair.
- Salutations distinguées : le registre monte d’un cran, parfait pour officialiser la relation ou conclure un courrier institutionnel.
- Bien à vous : une note plus directe et chaleureuse, qui conserve tout de même sa neutralité.
Salutations informelles
Dans les rapports amicaux ou entre collaborateurs proches, d’autres salutations s’imposent naturellement :
- Salut : efficace, immédiat, il s’impose dans une conversation entre collègues ou amis.
- Coucou : à réserver aux liens vraiment familiers, souvent utilisé dans les tchats entre personnes complices.
- À tout à l’heure : pratique et fixe le rendez-vous d’une future interaction dans la même journée.
Le choix des mots fait avancer les mentalités autant que les lois écrites. À chaque échange, une scène nouvelle se joue : maintenir la tradition ou épouser une courtoisie repensée, le dilemme demeure. Peut-être qu’un simple « bonjour », prononcé sans autre artifice, deviendra un jour le vrai signe d’attention universelle, au-delà des époques et des habitudes.

